Interview de Prénam Tchéyi : « Le commerce illicite des espèces protégées est lié à la corruption, le blanchiment d’argent et de capitaux… »
Interview de Prénam Tchéyi : "Le commerce illicite des espèces protégées est lié à la corruption, le blanchiment d'argent et de capitaux..."
La Journée mondiale des espèces menacées a lieu chaque année le 11 mai. Elle a pour but de sensibiliser le monde scientifique et le grand public à l’extinction des espèces menacées. Plus de 20 000 espèces de plantes et d’animaux sont en danger de disparition imminente chaque année. Dans une interview accordée à notre rédaction, le Coordinateur National de l’ONG EAGLE-Togo, TCHEYI Prénam Darius, revient sur l’importance de cette journée et les actions de son organisation pour intensifier la lutte contre la disparition des espèces protégées.
AuxNouvelles : Le 11 mai est la Journée mondiale des espèces menacées. Votre organisation, EAGLE-Togo, est toujours à l’avant-garde pour lutter contre l’extinction des espèces protégées. Quel bilan pouvez-vous nous faire sur la criminalité faunique ?
M.TCHEYI : Le commerce illégal d’espèces sauvages est un crime organisé transnational. Il occupe le 4ème rang mondial des commerces illicites reconnus par l’ONU, amassant des bénéfices d’environ 200 milliards de dollars chaque année. Ce commerce illicite est lié à la corruption, au blanchiment d’argent et de capitaux, et au trafic d’autres produits tels que les armes et la drogue, entretenant des liens étroits avec le terrorisme. L’ancien Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a décrit le crime faunique comme une grave menace pour la sécurité, la stabilité, l’économie, les ressources naturelles et le patrimoine culturel de nombreux pays africains, y compris le Togo. Le commerce illégal des espèces est organisé par des réseaux criminels puissants, et il ne s’agit pas du simple braconnage localisé. Il génère des profits illicites très importants. Les organisations criminelles utilisent des méthodes sophistiquées de contrebande. La saisie d’armes puissantes et de stocks de munitions neuves en provenance de marchés illégaux, de groupes terroristes et de groupes rebelles est fréquente. C’est une activité à très haut rendement sans grande prise de risque pour ses auteurs. En Afrique, un éléphant est tué toutes les 15 minutes pour son ivoire, 35 000 éléphants sont tués chaque année, soit environ 100 par jour. L’ONU estime que l’Afrique a déjà perdu 50 à 90 % de ses éléphants et demande aux États la « tolérance zéro » dans le traitement judiciaire des cas de trafic. La population d’éléphants de forêt en Afrique centrale a chuté de 60 % en 10 ans. Les éléphants d’Afrique sont sur une voie rapide vers l’extinction totale de l’espèce. La plupart de l’ivoire est destiné à la Chine, principal marché, où la demande est énorme. Les autres espèces suivent la même voie, comme les rhinocéros et les grands félins. En témoignent les saisies de peaux de panthères, de dents et de griffes de lions au Togo en 2022 et 2023, ainsi que les cargaisons de singes saisies à l’aéroport et au port de Lomé en 2023 et 2024, respectivement. Nous devons également mentionner les oiseaux et les requins, dont 90 % de la population mondiale a été détruite en 10 ans. De 2022 à ce jour, 32 trafiquants de faune ont été arrêtés au Togo et emprisonnés par les autorités en collaboration avec EAGLE-Togo.
AuxNouvelles : La criminalité faunique détruit considérablement l’écosystème. Les trafiquants s’activent malgré les efforts des organisations internationales, dont EAGLE-Togo. Quelles en sont les causes ?
M.TCHEYI : La demande forte dans les pays asiatiques, où se trouvent les grands acheteurs internationaux, ne faiblit pas. La loi n’est pas toujours appliquée en raison de la corruption, du trafic d’influence et de la minimisation des faits. Le trafic n’est pas un souci de pauvreté. Les riches sont derrière le trafic. Ils ont la possibilité de corrompre et sont très connectés. Voilà ce qui constitue la principale cause.
AuxNouvelles : Comment s’active EAGLE-Togo pour dissuader les trafiquants et les braconniers ?
M.TCHEYI : EAGLE-Togo s’active en fournissant un accompagnement technique efficace aux autorités, notamment le Ministère de l’Environnement et des Ressources Forestières et les unités de force de l’ordre et de sécurité, afin de réaliser plus d’opérations d’arrestations des trafiquants majeurs d’espèces ou de produits d’espèces sauvages menacées d’extinction. Nous collaborons avec les autorités judiciaires pour assurer le suivi juridique des poursuites pénales résultant des arrestations, afin qu’il y ait des condamnations avec des peines d’emprisonnement sévères, seul moyen de dissuader, fragiliser et affaiblir les réseaux de trafic. De plus, notre service média est actif pour maximiser l’effet dissuasif de nos résultats sur la criminalité environnementale en sensibilisant le public. Les arrestations et les poursuites ou condamnations sont diffusées à la radio, dans les journaux, à la télévision et sur internet. L’enjeu au Togo est de faire en sorte que le pays ne redevienne pas une plaque tournante du trafic illicite des espèces sauvages protégées.
AuxNouvelles : Sur le terrain, EAGLE-Togo rencontre-t-il des difficultés ?
M. TCHEYI : Même si nous avons une bonne collaboration avec les acteurs impliqués dans cette lutte, les difficultés ne manquent pas. Nous menons une action d’activiste, ce qui constitue une activité sensible. Il est important de comprendre que ce n’est pas chose aisée.
AuxNouvelles : Comment se passe la collaboration avec les autorités, notamment le MERF ?
M. TCHEYI : La collaboration avec les autorités se passe bien sur le terrain. EAGLE-Togo apporte un appui technique au Ministère de l’Environnement et des Ressources Forestières (MERF). Au niveau gouvernemental, nous collaborons avec trois ministères : l’Environnement, la Sécurité et la Justice. Avec le Ministère de l’Environnement, nous travaillons avec la Direction des Ressources Forestières et l’Inspection des Ressources Forestières. Pour le Ministère de la Sécurité, nous collaborons avec la Gendarmerie et la police judiciaire, notamment l’Office Central de Répression du Trafic Illicite de Drogue et du Blanchiment (OCRTIDB) et le BCN/INTERPOL-Lomé. Concernant le Ministère de la Justice, nous travaillons principalement avec le Parquet et le Conseil Supérieur de la Magistrature. Au niveau international, nous collaborons avec les ambassades de l’UE, des USA, de France et du Brésil, ainsi que les institutions financières.
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