L’alcool, un problème de santé publique majeur au Togo selon l’enquête ALCOTRANS
L’alcool, un problème de santé publique majeur au Togo selon l’enquête ALCOTRANS
Les résultats de l’étude dénommée « ALCOTRANS », réalisée dans le cadre de la Caractérisation du Trouble de l’Usage de l’Alcool (TUA) à travers une approche transculturelle bio-psycho-sociale en France, au Bénin et au Togo, ont été présentés le mardi 17 décembre 2024 aux acteurs de la santé, de la société civile et aux organisations engagées dans la lutte contre les maladies mentales au Togo.
La rencontre, tenue au Centre de formation et de recherche en santé publique, a permis aux initiateurs de ce projet sanitaire de revenir sur les objectifs visés, la méthodologie de l’enquête et les défis rencontrés.
Conduite entre septembre 2020 et septembre 2023, cette étude visait à mieux comprendre le Trouble de l’Usage de l’Alcool, en utilisant des approches variées et combinées pour définir les facteurs pronostiques permettant d’objectiver le trouble et son évolution, tout en intégrant les variabilités individuelles d’expression des troubles directs et induits.
Les enquêtes menées en deux volets, notamment auprès de la population générale dans la préfecture de Yoto au Togo et à Lalo au Bénin, ainsi qu’en milieu hospitalier dans les deux pays, révèlent un problème majeur de santé publique.
Résultats de l’enquête en population générale au Togo et au Bénin
Selon les résultats présentés, la prévalence du TUA au Togo est de 12,4 % (IC 95 % : 9,5-15,7) contre 8,7 % au Bénin (IC 95 % : 6,4-11,7). L’étude met également en lumière des comorbidités liées à cette prévalence. Au Togo, les principales comorbidités identifiées sont : le risque suicidaire (15,5 %), la dépression (5,6 %), l’addiction aux jeux (4,3 %) et le tabagisme (3,6 %). Au Bénin, le risque suicidaire est de 5,5 %, le trouble de l’usage du tabac est à 3,4 %, et le syndrome psychotique est établi à 1,1 %.
Concernant l’enquête menée en milieu hospitalier, il ressort qu’en France, la majorité des patients souffrant de TUA sont des hommes d’environ 50 ans, dont 82 % sont fumeurs. Au Bénin, il s’agit principalement de jeunes hommes chrétiens vivant en milieu urbain. Au Togo, les patients sont des hommes d’une quarantaine d’années, travaillant en ville. Par ailleurs, une étude a été réalisée pour explorer les variations de BDNF et Pro-BDNF chez les patients souffrant d’épisodes dépressifs caractérisés et de TUA.
Rendre disponibles des données scientifiques sur le phénomène
Comparativement à la France, il existe peu de données fiables en Afrique subsaharienne concernant les caractéristiques épidémiologiques des sujets présentant un TUA (genre, âge, milieu social…) et les déterminants qui y sont associés. Selon le Professeur Philippe NUBUKPO, Psychiatre et spécialiste en addictologie, cette étude vise avant tout à rendre disponibles des données scientifiques sur ce phénomène.
« Nous avons dressé un état des lieux de la question scientifique liée à l’alcool dans les populations africaines et constaté que les données sur l’addiction à l’alcool, ses représentations et sa prise en charge manquent dans la littérature internationale concernant l’Afrique de l’Ouest, en particulier au Togo et au Bénin. Nous avons voulu contribuer à rendre disponibles des données sur l’ampleur du phénomène, ainsi que sur la perception qu’en a la population et sur les moyens d’améliorer sa prise en charge », a-t-il déclaré.
Situation préoccupante : Un appel à l’action collective
« Nous avons constaté une fréquence alarmante de la dépendance à l’alcool dans la préfecture de Yoto. Avec un taux de 12 %, nous dépassons les chiffres précédemment établis pour le Togo, qui se situent autour de 9 %. Ces données sont également élevées par rapport à la moyenne des chiffres déclarés par l’OMS pour l’Afrique de l’Ouest, qui est d’environ 3 %. De plus, nous avons observé que d’autres maladies sont associées à cette dépendance, telles que la dépression et les idées suicidaires. En effet, lorsque les gens souffrent, ils peuvent considérer la mort comme une solution. Nous notons également des problèmes de dépendance au tabac et au cannabis chez certains consommateurs d’alcool », a expliqué Prof. NUBUKPO.
L’étude souligne également un retard dans la demande de soins, souvent dû à des phénomènes de stigmatisation.
« Les personnes souffrant de problèmes d’alcool se perçoivent comme inférieures, et l’étude révèle qu’elles ont peur et se sentent stigmatisées », a poursuivi l’Addictologue, précisant que seuls quelques-uns se rendent à l’hôpital pour obtenir des soins.
Il appelle l’État et la société civile à intensifier les efforts de prévention, notamment auprès des jeunes.
« Il est essentiel d’informer la population que la dépendance à l’alcool peut être traitée. Nous devons mettre en place des actions de prévention pour empêcher les jeunes de tomber dans l’alcoolisme et pratiquer un repérage précoce. Les actions doivent également être mutualisées », a-t-il ajouté.
Face à cette situation alarmante, plusieurs recommandations ont été formulées à l’intention des acteurs concernés.
Pour l’État, il est recommandé d’intensifier la sensibilisation et d’améliorer l’accessibilité aux informations sur la réglementation de l’alcool, d’interdire la vente d’alcool aux jeunes, d’interdire la publicité de l’alcool dans l’espace public et d’intégrer les soins liés à l’addiction dans le panier de soins de base.
Au personnel soignant, il est demandé de se concentrer sur le repérage précoce des problèmes d’alcool. « Les personnes ont peur de déclarer qu’elles sont alcooliques. Les agents de santé doivent donc impérativement aborder la question de la consommation d’alcool avec tous les patients qui se présentent à eux. Pour obtenir des résultats probants, il est crucial de poser des questions simples ou d’utiliser un questionnaire d’état », a recommandé le Professeur Agrégé WENKOURAMA Daméga, Addictologue et Chef de service de psychiatrie du CHU de Kara.
Les acteurs de la société civile et les organisations sont également invités à jouer leur rôle pour soutenir les actions de l’État à travers des initiatives collectives.